Si l’épidémie liée à la COVID 19 frappe une nouvelle fois brutalement notre société et notre économie insulaires, il convient d’ores et déjà de s’atteler à construire les conditions de la relance.
Dans cette perspective, l’équipe de la Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire de Corse, apporte sa pierre à l’édifice. Convaincue que ce secteur prônant un développement économique vertueux et responsable, est « l’une des solutions à la sortie de crise », elle formule 5 propositions destinées à le soutenir.
Une crise qui nous bouleverse
C’est une crise sans précédent, d’abord sanitaire puis devenue économique et sociale que doit affronter l’Humanité tout entière. Un simple virus, qui semblait d’abord lointain, a secoué la société, les entreprises et les organisations qui, jusqu’il y a quelques mois, se complaisaient encore pour la plupart dans un modèle peu soucieux des personnes, de la finitude des ressources naturelles, et centré sur le court-terme et la rentabilité. Or les mécanismes qui conduisent à cette crise mondiale et systémique ne relèvent pas que de la fatalité mais aussi de décisions politiques, économiques et sociales. Quel monde souhaitons-nous ?
Des mesures, utiles mais souvent drastiques, ont été prises pour endiguer la contagion sanitaire. D’autres mesures ont été mises en œuvre par l’État, les Régions, les collectivités et acteurs locaux pour sauvegarder le tissu économique et permettre aux personnes de vivre, voire de survivre, pendant cette période. Pourtant des secteurs entiers sont en très grande tension. Une telle situation génère des effets que nous ne mesurons pas encore, car à cette crise économique – sans précédent – s’ajoute une crise sociale que nous n’avons pas su prévenir suffisamment. Les inégalités se sont accrues. Le confinement a creusé les failles en matière de logement, d’éducation, d’alimentation, sans parler de la fracture numérique. Les impacts sur la santé physique et psychologique d’une partie de la population sont considérables et plus que jamais le « prendre soin » est et sera d’une urgence absolue.
Mais nous avons vu aussi naître les plus beaux signes de solidarité : pour ce qui touche à la santé des anciens et des plus fragiles, des malades, ce sont les soignants qui ont pris les choses en main, en mettant en œuvre tout ce qui était possible pour soigner et accompagner, parfois au péril de leur propre santé. Hélas, comme dans toute bataille, quelques pans sombres ont émergé, allant jusqu’à la spéculation sur des biens de première nécessité (masques, matériel médical, etc.), mettant en danger la protection de chacun.e et l’accès aux soins. Mais au global, la société citoyenne a réagi. Aujourd’hui, son organisation, bien qu’imparfaite, semble encore tenir le coup. Mais combien de temps ?
Aurait-on pu gérer cette crise autrement ? Peut-être, mais l’heure n’est pas à chercher des responsables. Nous, entreprises de l’ESS, avons dans notre ADN le goût de l’optimisme et de la résilience. Nous préférons penser que demain les choses peuvent changer : pour cela nous devons réfléchir dès à présent à ce que nous voulons proposer comme modèle de société. Certains voudront entamer un marathon pour rattraper le retard et retrouver coûte que coûte le modèle que nous avons connu, ce modèle qui nous a sans doute conduits où nous en sommes.
Et si nous nous autorisions, ensemble, une autre vision, une opportunité de faire autrement ?
L’ESS comme une des réponses à la relance
L’ESS, des entreprises en première ligne. Des pans entiers de notre économie menacent de s’effondrer, aussi nous souhaitons contribuer activement à cette sortie de crise : nous ne prétendons pas être LA solution, mais nos organisations peuvent apporter DES solutions, et ces solutions s’inscrivent dans le respect d’un développement plus responsable et d’un pacte social garantissant davantage d’égalité.
Rappelons ce qu’est l’Économie Sociale et Solidaire. Ce sont des associations, des coopératives, des mutuelles, des fondations, des Entreprises d’Utilité Sociale ESUS, des entrepreneurs sociaux. En Corse, cette économie représente 12% de l’emploi salarié privé, soit près de 9 000 emplois, et plus de 1 100 entreprises. Aujourd’hui, qu’elles soient en première ligne, en reprise ou encore en suspension d’activité, quelle que soit leur taille, les entreprises de l’ESS sont autant menacées que les autres par les conséquences économiques et sociales de la crise. Des secteurs entiers de l’ESS, totalement à l’arrêt, sont possiblement dans la tourmente : culture, sport, tourisme social, éducation populaire… Les réponses gouvernementales « de droit commun » ont été rapidement activées pour le monde économique mais comme à l’accoutumée, celles-ci étaient souvent inadaptées ou tardivement adaptées à nos structures, et particulièrement aux associations.
Promouvoir l’ESS comme modèle de développement économique pour réussir les transitions.
Nos entreprises ont fait la preuve de leur résilience lors de la crise de 2008, elles sont aujourd’hui souvent en première ligne du « mieux-vivre ensemble », du « prendre soin » et des solidarités, et pour la fourniture des besoins essentiels. Nos principes doivent être réaffirmés pour un après-crise qui serait celui d’un autre modèle de développement : absence ou limitation de la lucrativité, territorialisation de nos actions, primauté donnée au collectif, rapport alternatif à la création de valeur et au sens du travail, pratiques de coopération et d’implication des parties prenantes s’illustrant par des formes démocratiques et/ou participatives de gouvernance… tout ceci faisant assurément écho aux aspirations de nos concitoyens à vivre autrement.
Nous voulons donc contribuer à la construction d’un nouveau paradigme et à partir de nos principes fondamentaux et face aux défis qui nous attendent (sociaux, économiques, environnementaux, démocratiques…), apporter des solutions.
« Répondre aux urgences, devenir la norme de l’économie, doit permettre de propulser l’ESS comme moteur de la transition nécessaire de modèle de développement économique. Elle ne le fera pas seule, et n’incarnera pas seul les nouveaux fondamentaux économiques, mais son antériorité tant dans la mise en œuvre de pratiques entrepreneuriales alternatives que dans la prise en charge d’enjeux d’innovation sociale et environnementale, justifie qu’elle soit soutenue dans sa diversité pour réussir la transition. Les acteurs de l’ESS doivent notamment être au premier rang de la mise en œuvre de moyens ambitieux pour prévenir l’enjeu d’une crise climatique majeure, considérant que l’évolution de l’environnement et l’enjeu climatique ont une influence sur la santé humaine et animale. »1
Le monde d’après n’est pas qu’à inventer : il est déjà là ! L’Économie Sociale et Solidaire participe activement aux réponses apportées à la crise et doit participer à l’élaboration des décisions économiques et sociales. Modèle à part entière, elle est une des solutions à la sortie de crise et doit être soutenue.
Nos propositions pour réfléchir ensemble à demain
En tant que représentant des acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire en Corse, la CRESS Corsica a identifié quelques pistes de réflexion que nous pourrions construire, développer et déployer ensemble.
- Proposition 1 : Lancer un Pacte régional pour la Santé et la Cohésion sociale
Les secteurs de la santé, du social et du médico-social représentent des centaines d’emplois dont la plupart sont issus de l’ESS. Les organisations, en particulier des associations et des mutuelles, qui accueillent des enfants et des familles en difficulté, des personnes malades, âgées, en situation de handicap, en grande précarité ou déjà exclues sont en première ligne durant cette crise.
Comment agir ensemble ?
1. Revaloriser et mieux considérer les métiers du « care » et du Bien Vieillir, notamment auprès des jeunes.
2. Soutenir des actions de prévention, de structures de soins et d’accessibilité à la santé.
3. Réinvestir massivement dans notre système de soin en priorisant les structures publiques et les entreprises de l’ESS.
4. Organiser un nouveau socle de ressources sanitaires par l’Etat, la Collectivité de Corse et les acteurs de la filière pour renforcer les moyens logistiques en cas de crise.
5. Développer l’hospitalisation à domicile et la télémédecine.
6. Créer une réserve sanitaire et médico-sociale.
7. Soutenir la recherche médicale.
- Proposition 2 : Agir au service de l’emploi et de l’insertion sur les territoires
Notre action au service de l’emploi est multiple. C’est le soutien de nos associations qui accompagnent les personnes les plus fragiles vers le retour à l’emploi, via les entreprises adaptées ou les chantiers d’insertion par exemple, mais ce sont aussi les actions que nous menons pour promouvoir l’entrepreneuriat à travers les coopératives. Nos agences bancaires coopératives, nos mutuelles, nos SCOP et SCIC, nos associations à travers leurs actions variées (éducation populaire, accueil de publics etc.) maillent le territoire, créent du lien social et sont aussi créatrices d’emplois non délocalisables.
Comment agir ensemble ?
1. Favoriser les liens entre les entreprises de l’économie « classique » et celles de l’ESS afin que notre tissu de TPE-PME régional soit davantage visible : la coopération plutôt que la concurrence.
2. Soutenir la création et le développement d’activités d’utilité sociale, facteur de lien social dans les territoires.
3. Pérenniser le dialogue Etat-Collectivité de Corse sur la vie économique et sociale en créant une instance stratégique et opérationnelle (sur le modèle de la cellule hebdomadaire en temps de crise)
- Proposition 3 : Promouvoir un « green new deal » régional
La Corse possède des pôles d’excellence : agriculture, tourisme, numérique, aéronautique, … Beaucoup de ces filières sont mises à mal par la crise. Les questions environnementales et d’impact social doivent être une priorité dans les plans de relance et les acteurs régionaux doivent se mobiliser autour d’actions fortes au service de l’environnement. Les entreprises de l’ESS sont déjà fortement investies sur ces questions et ne demandent qu’à essaimer et à faire connaître leurs actions.
Comment agir ensemble ?
1. Donner aux entreprises de l’ESS les moyens de prévenir l’enjeu d’une crise climatique majeure.
2. Investir dans la recherche et les compétences nécessaires à l’identification et à la consolidation de nouvelles filières et écosystèmes.
3. Conditionner les aides publiques aux entreprises à la mesure de leur impact social ou environnemental.
4. Promouvoir et investir dans les mobilités douces et alternatives.
5. Soutenir l’économie circulaire et le réemploi.
- Proposition 4 : Être associés aux décisions économiques et sociales
C’est au plus près des besoins que les réponses se sont organisées. Sans toucher au découpage administratif si sensible, il nous faut impérativement organiser la délégation d’intervention. Si l’Etat est dans son rôle pour garantir l’égalité de traitement sur tout le territoire, il a besoin de relais. Les Régions ont démontré leurs pertinences, par l’impact des mesures économiques et leurs capacités de réaction. Les départements et les métropoles ou les communautés d’agglomération et de communes ont aussi mis en évidence que, pour les questions de solidarité et d’interventions au plus près des citoyens, elles avaient également un rôle à jouer.
Comment agir ensemble ?
1. Favoriser l’entrée des collectivités territoriales au capital des entreprises de l’ESS dont principalement les SCIC.
2. Assouplir les règles contractuelles liant les entreprises de l’ESS et leurs financeurs publics (délais de réalisation des objectifs, livrables, indicateurs…).
3. Renforcer l’appui aux collectivités territoriales mettant en place des politiques de soutien à l’ESS (en matière d’ingénierie technique et financière, de mutualisation, de formation…) qui pourraient être portées par la Banque des Territoires.
4. Définir et soutenir des parcours d’accompagnement des porteurs de projets ESS renforcés dans certains territoires pour tenir compte de leurs spécificités (ruralité, QPV…).
5. Préserver les projets associatifs en assouplissant les cahiers de charges des appels d’offres et des appels à projets ; favoriser la reconduction des conventionnements, le conventionnement pluriannuel et l’évaluation concertée ; assouplir le formalisme administratif.
- Proposition 5 : Construire un observatoire dédié à l’ESS en Corse
Les missions de cet observatoire seraient les suivantes :
- Observer le dynamisme atypique des entreprises de l’ESS en matière de création d’établissements et d’emplois.
- Définir et mesurer les richesses (économiques, sociales, culturelles…) générées par l’ESS à l’aide d’indicateurs spécifiques.
- Améliorer les conditions d’observation quantitative et qualitative de l’ESS afin de disposer de données fiables et pertinentes pour alimenter la réflexion prospective et permettre d’orienter les choix stratégiques des entreprises de l’ESS, ainsi que l’action publique en faveur du développement économique et social.
- Réaliser des diagnostics territoriaux avec l’appui des comités stratégiques territoriaux du DLA, de la CRESS avec d’autres têtes de réseaux, autant pour analyser les effets de la crise que pour identifier les opportunités nouvelles, notamment en termes de reconfiguration des besoins sociaux
- Travailler sur les modèles économiques des entreprises ESS en difficulté (enjeu des fonds propres en particulier)
Comment agir ensemble ?
1. Travailler sur la constitution d’une équipe dédiée
2. Approfondir le travail réalisé par Corsica Statistica
3. Mobiliser des partenaires : INSEE, URSSAF, MSA, Pôle Emploi, Université …